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19 septembre 2011

Le scandale de l'enrichissement de l'Eglise orthodoxe grecque en période de crise


Face à la crise qui frappe durement la Grèce, le gouvernement de Georges Papandréou a adopté des mesures d'austérité qui vont concerner l’Église orthodoxe locale. Désespérément à la recherche d’argent frais, l’État a annoncé, début mars 2010, que les revenus de l’Église seraient imposés à hauteur de 20% sur les revenus de l'Église, 10% sur les dons et legs en espèces et 5% sur les legs immobiliers ou fonciers. Riche et puissante, l’Église orthodoxe grecque l’est assurément dans un État dont elle n’est pas séparée. Ce qui ne l’empêche pas d’être pingre. Un vent de révolte souffle depuis qu'elle essuie les critiques de certains politiques. Lesquelles ?



Une Église ultra influente, coûteuse et fortunée


À Hydra, une île, entre Attique et Péloponnèse, la bourgeoisie athénienne investie chaque week-end. Une sorte de Porquerolles, si l’on veut, si Mykonos est le Saint-Tropez grec. Ici, le prix du m2 est l’un des plus élevés du pays : difficile de trouver une maison à moins d’un million d’euros, surtout près du port, les prix diminuant au fur et à mesure que l’on grimpe vers le haut de la ville, l’île étant interdite aux voitures et motos... Même s’il est difficile de savoir qui est propriétaire de quoi, les habitants d’Hydra estiment que 60 à 70 % des maisons du port, justement les plus chères, celles qui sont situées de part et d’autre de l’église et du monastère qui trône en plein centre du quai en forme de fer à cheval, appartiennent à l’Église orthodoxe. « C’est elle qui a les plus gros comptes dans les deux banques de l’île », assure Aristide qui a ses habitudes sur l’île. Elle explique:« J’ai croisé plusieurs fois une amie qui dirige l’une des agences sortant de la messe. Je lui ai fait part de mon étonnement, ne la sachant pas aussi croyante. Elle m’a expliqué que le pope l’avait menacé de retirer ses avoirs s’il ne la voyait pas à la messe chaque dimanche… »

L'Église orthodoxe est le plus gros propriétaire foncier du pays, avec une fortune foncière estimée à 700 millions d’euros de patrimoine, elle bénéficiait d'exonérations fiscales et de la prise en charge du salaire de ses popes par les caisses publiques !Bien qu'elle posséderait 90 % du foncier du pays, on ne compte pas aussi les milliards investis sur les marchés boursiers (de 50 à 100 milliards selon certaines sources).


De plus elle entretient des rapports très étroits avec tous les partis politiques. Au pays de Périclès, sa bénédiction remplit les urnes plus sûrement que tous les programmes politiques. Cependant, malgré son immense influence, elle n'a pas vu venir la "satanique faux fiscale"!Au début de l'année 2004, à quelques mois d’élections qu’allait perdre le gouvernement du socialiste Konstantinos Simitis, l’impôt qui frappait les revenus de l’Église depuis 1945 fut supprimé. À l’époque, alors qu’éclatait la guerre civile contre les communistes qui allait durer jusqu’en 1949 et faire quelque 150.000 morts, « le gouvernement a voulu s’assurer la fidélité des prêtres en prenant en charge le paiement de leurs salaires en échange d’une taxe de 25 % sur le revenu des paroisses », raconte Yannis Ktistakis, maitre de conférence en droit international public et spécialiste des questions religieuses. « Mais cet échange de bons procédés n’a pas fonctionné : l’Église a déclaré de moins en moins de revenus et les 25 % n’ont plus rapporté grand-chose. Pendant la dictature des colonels, entre 1967 et 1974, l’impôt est même passé à 35 %, mais cela n’a rien changé », poursuit Yannis Ktistakis.
Il faut savoir que l'Église Orthodoxe dispose, depuis l'indépendance du pays, d'un statut unique en Europe: la totalité des biens, revenus et autres bénéfices de l'Église est non imposable... et les prêtres sont des fonctionnaires payés par l'État.
En Grèce environ 11 000 prêtres de l’Église Orthodoxe sont payés par l’État, plus précisément par le Ministère de l’Éducation nationale, leur Ministère de rattachement, qui leur verserait en moyenne 2000 euros par mois alors que le salaire moyen n'est que de 700 euros !!!

Résultat : si le
budget de l’État qui leur est consacré, est évalué à 255 millions en salaires et pensions, l’impôt sur les biens de l’Église ne rapportait que 17,6 millions d’euros. D’où le « cadeau » de Simitis. Reste qu’en 2010, le coût pour l’État est passé à 315 millions d’euros, soit à peu près le budget du ministère de l’Environnement (369 millions d’euros). Même si les Popes sont touchés par les restrictions frappant les fonctionnaires (suppression des 13e et 14e mois, notamment), la charge est importante.
Si en Grèce personne ne connaît exactement le montant de la fortune de l'Église orthodoxe, en revanche, tout le monde sait qu'elle est la plus grosse propriétaire foncier du pays : 130.000 hectares, rien qu'en forêts, pâturages, monts et vallées et même plages. En 1987, lorsque le gouvernement avait préparé une loi d’expropriation, le chiffre de 3 milliards d’euros (chiffre actualisé) avait été avancé. Mais, à vrai dire, on n’en sait rien. « Faute de chiffres certains, on peut seulement remarquer qu’il y a des monastères, comme ceux du Mont Athos, qui sont vraiment très riches, et d’autres qui possèdent seulement des terres sans valeur », tempère Yannis Ktistakis.

Pour les chiffres officieux; avec l'entrée en vigueur de la nouvelle loi fiscale, l’Église est devenue l'un des premiers contribuables, en déclarant un bénéfice net (donc non vérifié) s'élevant à 19.601.354,42 euros pour 2008, issu majoritairement de locations. Pour l'année 2009, ce chiffre est estimé - exception faite des revenus immobiliers des monastères - à plus de 12 millions d'euros. Outre ces gains, l'Église orthodoxe compterait plusieurs millions d'euros dans quelques 6.700 entreprises de droit public (établissements et magasins religieux, par exemple), et détiendrait un portefeuille de 9 millions d'actions à la banque nationale de Grèce valorisé à 140 millions d'euros.

Elle serait par ailleurs propriétaire de 350 biens immobiliers à Athènes pour une surface totale de 60.000 m2, et dispose de 4,5 millions d'euros, fruits de ses investissements, et de 20 millions d'euros donnés par les fidèles. Malgré cette richesse et la prise en charge par l'État des salaires des popes - soit 300.000 euros par an

Des comptes impénétrables 

On nous décrivait le pays, comme étant à peine sortie de la voie du développement, soulignant ici l’absence de cadastre – rendant impossible toute imposition sur les constructions...
Selon une source ecclésiastique, les discussions ont été centrées sur le recensement d'une grande partie de la fortune foncière de l'Eglise, de l'ordre de 70%, inexploitable en raison d'entraves juridiques.
Les biens concernés seraient réunis dans un Fonds co-géré par l’État et par l’Église dont les revenus iraient aux œuvres sociales de l’Église, et le gouvernement s'engagerait à lever les problèmes juridiques, a ajouté cette source.
Quant aux revenus, c’est aussi le flou artistique. Le quotidien Kathimerini a publié, en novembre dernier, un rapport interne de l’Église portant su 2008 : 11,5 millions d’euros de revenus (locations, investissements) et 20 millions de legs.« C’est sous l’occupation ottomane que s’est bâti la fortune de l’Église : si on n’avait pas d’héritier, on lui donnait sa fortune pour éviter qu’elle revienne à l’État ottoman, », explique Nicos Alivizatos, professeur de droit constitutionnel. Mais les biens de l’Église ont régulièrement fondu depuis 1830, date de l’indépendance. « Aux alentours de 1850, le nouvel État grec a décidé de distribuer aux paysans une partie des terres cultivables de l’Église. On peut dire qu’il y a eu expropriation, même si en échange l’Église a obtenu la non-taxation de ses revenus, un privilège fiscal qui durera donc jusqu’en 1945 ».
En 1952, nouvel accrochage avec l’Église, lorsque l’État décide de saisir à nouveau une partie de ses terres agricoles. Mais, cette fois, elle sera indemnisée sous forme d’immeubles situés dans les villes. Ainsi, le siège du ministère de l’Agriculture, à Athènes, appartient-il à l’Église…




Grandeur et décadence face à l'austérité
Les nouvelles mesures fiscales ont provoqué un tollé dans le pays. A tel point que l’opérateur public d’électricité DEI refuse de participer à ce qu’il appelle un « racket gouvernemental », d’autant plus que l’Église  était exemptée de cette taxe. Le gouvernement a également mis en place une hausse de la TVA sur la restauration de 13% à 23%. Seul bémol, le syndicat des restaurateurs a annoncé que ses adhérents ne verseraient pas le surplus de cette taxe au fisc grec.
Face au plan de sauvetage qui ne porte pas ses fruits, ces dernières semaines, on évoquait, avec encore plus d’insistance, la faillite du pays, ce qui pour un pays comme la Grèce entrainerait une cascade sans fin : la zone euro serait plongée dans le chaos. La crise (plus politique qu’économique) que traverse les États Unis vint conforter cette théorie. Et la Grèce n’est pas un cas unique.
L'impôt unifié sur les biens immobiliers touche l'ensemble des églises métropolites, à la seule exception des monastères du mont Athos qui en sont exemptés puisque leur territoire bénéficie d'un statut spécial. L'actuel 1er Ministre grec, M. Papandréou - socialiste - hostile à cette loi, souhaitait l'annuler pour la remplacer par l'ancienne loi sur les "grandes fortunes immobilières".
Selon les premières estimations, l'impôt payé par l'Église pourrait apporter dans les caisses de l'État près de 500 millions d'euros.



Les pressions de l’Église pour échapper à ces mesures
 

Seuls les monastères du Mont Athos, une presqu’île au nord de la Grèce, échapperont à cette réforme exceptionnelle, leur territoire bénéficiant d’un « statut spécial ». Pourtant, on est très loin de la nationalisation sans indemnité de ses biens envisagée en 1987 par le père de l’actuel Premier ministre, Andreas, projet qui fut abandonné sur pression d’une rue qu’elle a su mobiliser.

Un bon tiers des métropolites, dont celui de Thessalonique, Anthimos, proche de l’extrême droite, a demandé au président du Saint Synode, l’Archevêque d’Athènes Hiéronimos II, de convoquer une session plénière de l’épiscopat afin de débattre du sujet. Des négociations sont en cours. Mais il est douteux que le gouvernement recule sur cette réforme symbolique alors que des sacrifices importants sont demandés au reste de la population.

On peut cependant se demander si cette bronca n’est pas largement symbolique, l’État grec ayant déjà démontré dans le passé qu’il était incapable de percevoir un impôt sur l’Église, faute d’instrument de contrôle efficace vu l'opacité des fonds.

Pourquoi l’église orthodoxe, n’est-elle pas mise plus amplement à contribution ?
Pour Stéphanos Manos, l'ancien ministre grec de l’Économie et des Finances "le gouvernement la protège, c’est un fait. Elle jouit d’une position spéciale en Grèce. Par exemple, elle est exemptée de la nouvelle taxe sur l’immobilier. Mais il y a quantité d’arrangements du même type dans le système grec. A mon avis, le gouvernement n’arrivera pas à le réformer. C’est d’ailleurs la question qui se pose pour le pays : qui va le faire ?"
À l’issue de la fête de Sainte Irène, à Palea Fokea, au sud-est de l’Attique, le métropolite Nikolaos de Mesagaias a expliqué à Libération que « l’Église ne devrait pas être exemptée d’impôt au moment où tout le monde est accablé de taxes ». Il a, pour montrer l’exemple, renoncé à son salaire qu’il estime à 30.000 euros par an, afin de « montrer que l’Église veut aider le peuple ». Elle l’aidera encore plus en ouvrant ses livres de comptes…
Les archevêques conservateurs protestent. Une rencontre entre le 1er Ministre et l'Archevêque Hiéronyme II le 23 mars dernier, a tourné court. Les deux hommes ne sont pas parvenus à trouver un consensus sur l'imposition de l'Église. Les Voies du Seigneur sont impénétrables comme chacun sait... surtout en matière fiscale.
Devant la "bronca ecclésiastique" provoquée par l'impôt, le ministère des Finances a envoyé à l'Archevêché la liste des Églises Métropolites qui ne s'étaient pas acquittées de leur dîme. Cette initiative a provoqué une réaction immédiate et exceptionnelle de "mécontentement" de l'entourage de Hiéronyme II.
Pendant que l'Archevêché reste stupéfait de la démarche, 32 des 80 églises métropolites de Grèce refusent de payer ! Pire, la révolte cléricale touche désormais les métropoles du Patriarcat Oecuménique de Constantinople, l'Église semi-autonome de Crête et celles du Dodécanèse.

Toutefois, le Saint-Synode, organe ecclésiastique suprême, n'a pas dit son dernier mot. Il compte envoyer un mémorandum au gouvernement avec de nouvelles propositions. « L’église ne refuse pas d'être imposée, surtout dans la dure conjoncture actuelle, mais elle veut que cela soit fait d'une manière qui ne va pas entraver son œuvre philanthropique », a souligné un communiqué du Saint-Synode.

Une vague d'indignations et de critiques 

L’Église est depuis le déclenchement de la crise financière grecque au centre de critiques, surtout de la gauche, pour les exonérations fiscales dont elle jouit, l'opacité de ses comptes, et la prise en charge du salaire de ses popes par les caisses publiques.
Reste à savoir à quoi s’appliquera ce nouvel impôt et combien il rapportera, en imaginant que les services fiscaux deviennent enfin efficaces.
Quoi qu'il en soit, une majorité de métropolites estime qu’il sera difficile à l’Église d’échapper à la solidarité nationale.
George Papaconstantinou a tenu bon, et sauf coup de théâtre dû aux élections régionales en automne prochain, l'Église sera bel et bien imposée. « Comme tout contribuable grec, comme toute entreprise du pays, je suis tout à fait d'accord sur l'imposition des organismes ecclésiastiques, mais sur les résultats nets et non pas bruts », a contesté Mgr Iéronimos.
Le 1er Ministre a fait savoir devant la "bronca ecclésiastique" qu'il ne souhaitait pas revoir ou imaginer de nouvelles lois fiscales touchant l'Église.
Son parti aurait souhaité une imposition sur la totalité des biens, mais il doit aussi renoncer : la situation sociale étant trop délicate actuellement !

Toutefois, le Ministère des Finances a fait savoir qu'il abandonnait l'idée de restaurer l'impôt sur les cierges vendus (taxe de 35% en ville et 25% à la campagne), au motif que la vérification serait impossible à faire. On imagine sans mal, le chemin de croix des contrôleurs fiscaux pour vérifier et redresser, éventuellement, les Popes indélicats sur la vente des cierges...
Il ne faudrait pas que des prêches enflammés contre la politique de l'État viennent ajouter des tensions supplémentaires ! La crise affecte l'Église, elle aussi, les troncs subissant une baisse significative des dons. Néanmoins, elle dispose d'un patrimoine immobilier considérable, estimé à plusieurs centaines de millions.


Les voies de l’Église resteront elles intaxables?

Au cœur du plan d’austérité drastique mené par Athènes, l’Église orthodoxe ne devrait pas couper à la règle et renoncer à son exemption d’impôts au nom du clientélisme politique. Mais cette institution, qui en Grèce n’est pas séparée de l’État, n’est pas décidée à se sacrifier et se défend bec et soutane contre la réforme. On savait les Voies du Seigneur impénétrable... désormais, on les sait aussi intaxables. "Allez en Paix mes fils, et n'oubliez pas le "tronc" en sortant... Au nom du Pope, du Fisc et du Saint Impôt !" pourrait-on dire !

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